La création de la Société d’habitation du Québec, en 1967, a été le coup d’envoi d’une série d’actions visant à améliorer les conditions de logement de tous les Québécois. Un demi-siècle plus tard, ses bénéfices pour l’ensemble de la société sont incontestables, affirme Jean-François Vachon, historien et conférencier principal au 11e Rendez-vous de l’habitation, le 6 novembre prochain.
C’est en pleine Révolution tranquille, au moment où le Québec tout entier entre dans la modernité, que germe l’idée de créer un organisme chargé de soutenir le développement de projets d’habitation et d’améliorer les conditions de logement de la population.
À l’époque, les villes de Montréal, Québec et Trois-Rivières sont aux prises avec un important problème de taudis. Des quartiers complets voient s’entasser des familles nombreuses dans des logements insalubres ou inadéquats.

Jean-François Vachon, historien et auteur de la synthèse historique sur les 50 ans de la SHQ.
« Après la Deuxième Guerre mondiale, l’augmentation des coûts de construction, combinée à l’apparition de familles nombreuses et à la hausse de l’immigration, entraîne une crise du logement. À l’époque, beaucoup d’habitations n’ont pas de conditions sanitaires adéquates, ni de chauffage central. Plusieurs logements à Montréal et à Québec sont directement sur la terre battue », relate M. Vachon, également auteur de la synthèse historique L’habitation à cœur depuis 50 ans : 1967 à 2017.
Sous les pressions de groupes populaires et religieux qui réclament des mesures afin d’éradiquer ce problème, le gouvernement du Québec dépose en 1965 le Rapport Marier, qui reconnaît l’existence d’un « important problème de logement » au Québec.
Un comité interministériel propose ensuite la création d’un organisme responsable de l’habitation. La naissance de la Société d’habitation du Québec (SHQ), deux ans plus tard, sera l’aboutissement d’une longue prise de conscience concernant la nécessité d’améliorer les conditions de logement de la population.
Le logement : un bien de consommation comme un autre
Jusqu’au milieu des années 1940, les pouvoirs publics n’ont pas de politique en matière de logement.
« Dans les années 1930, 40 ou 50, le logement est considéré comme un bien de consommation comme un autre. Les gouvernements ne voient donc pas la nécessité d’intervenir dans le domaine comme ils le font aujourd’hui pour soutenir les clientèles vulnérables », observe M. Vachon.

Logement du quartier du Faubourg à m’lasse, Montréal, 1963. Source : Archives de Montréal, les quartiers disparus de Montréal
La crise économique des années 1930 forcera le gouvernement fédéral à agir. La Loi fédérale sur le logement est adoptée en 1935, suivie de la Loi nationale sur l’habitation, en 1938. « Ces lois avaient avant tout pour objectif de relancer l’économie. Elles ne comportaient pas de mesures favorisant la construction de logements sociaux », nuance M. Vachon.
La création en 1946 de la Société centrale d’hypothèques et de logement, l’ancêtre de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui deviendra un important partenaire de la SHQ, constitue une importante initiative fédérale en matière de logement. Au départ, son mandat est de loger les militaires de retour de la guerre et de diriger les programmes nationaux de logement.
Timides avancées au Québec
Au Québec, les choses bougent encore plus lentement. Les années 1940 et 1950 sont marquées par le règne de Maurice Duplessis, pour qui toute intervention de l’État dans les domaines social ou économique s’apparente à du socialisme.
Devant l’hésitation du gouvernement du Québec à s’engager en matière d’habitation, le Comité des 55, un regroupement d’organismes caritatifs, religieux et syndicaux, se mobilise au cours des années 1950 pour réclamer des actions concrètes de la Ville de Montréal afin d’éliminer les taudis et améliorer les conditions de logement des familles.
Des fonds fédéraux sont à la disposition des gouvernements provinciaux pour construire des logements sociaux, mais le premier ministre Duplessis est un autonomiste, ce qui explique qu’il est réfractaire à utiliser ces ressources financières, contrairement au gouvernement ontarien, par exemple, affirme M. Vachon. « De plus, il juge les programmes fédéraux en matière de logement mal adaptés aux besoins du Québec, de ses familles nombreuses et de sa population rurale. »
Les Habitation Jeanne-Mance : premiers logements publics
La persévérance du Comité des 55 portera néanmoins ses fruits. En l’absence de programmes québécois en matière de logement, la Ville de Montréal s’entendra avec le gouvernement fédéral pour la construction des premiers logements publics québécois, les habitations Jeanne-Mance (HJM), qui seront achevés en 1959. La plus grande part du financement de cet ensemble locatif sera assumée par Ottawa.

Les habitation Jeanne-Mance. Premiers logements publics de l’histoire du Québec. Source : Ville de Montréal
La construction de ces 788 logements est un grand pas en avant dans l’amélioration des conditions d’habitation des Québécois. C’est toutefois loin d’être suffisant pour combler les besoins impérieux de nombreuses familles québécoises en matière de logement.
« En 1962, dans le quartier à Saint-Henri, à Montréal, 36 % logements sont jugés « inhabitables ». En 1965, 41 % des logements de la ville de Québec sont considérés comme « inadéquats » », rappelle M. Vachon.
Devant une crise du logement qui perdure, la multiplication des habitations insalubres et les pressions populaires, le gouvernement du Québec n’a plus le choix d’agir. De plus, le nouveau gouvernement du libéral Jean Lesage, soucieux de protéger ses champs de compétence, ne veut plus laisser le gouvernement fédéral prendre en charge toute la responsabilité de la construction de logements publics sur son territoire.
La SHQ : une révolution en habitation
C’est ainsi que, le 27 septembre 1967, la SHQ voit le jour. Au départ, son mandat se décline en trois volets : favoriser la rénovation du territoire des municipalités du Québec; faciliter l’accès des citoyens à la propriété immobilière et mettre à la disposition des Québécois des logements à loyer modique.
« Dans les premières années, le rôle de la SHQ est de soutenir les principaux acteurs en habitation, comme les municipalités ou les coopératives, dans leurs projets. Les municipalités construisent elles-mêmes les logements. De nombreux programmes de rénovation urbaine sont aussi mis de l’avant », précise M. Vachon.
C’est à partir de 1974 que la SHQ devient véritablement maître d’œuvre en habitation en prenant en charge la construction et l’administration des logements sociaux et communautaires. « Le point tournant survient quand le gouvernement fédéral exige que les fonds destinés au logement social soient attribués uniquement aux parties qui réalisent directement les projets. Soucieux de préserver son champ de compétence, le gouvernement confie la maîtrise d’œuvre des projets futurs à la SHQ », poursuit M. Vachon.
Cette décision permet de mieux répartir la construction de HLM sur l’ensemble du territoire québécois, en fonction des besoins de chaque région.
Dès lors, et dans la foulée du rapport Legault, déposé en 1976, qui recommande que « tous les Québécois puissent disposer d’un logement adéquat à un prix abordable », le nombre de logements construits annuellement par la SHQ bondit. Ainsi, le nombre de HLM passera de quelque 16 465, de 1967 à 1974, à 35 655 de 1974 à 1986. À la fin du financement du programme HLM, en 1994, ce sont près de 63 000 unités qui auront été construites dans le volet régulier. À cela s’ajoutent quelque 3 200 logements construits au Nunavik pour les communautés inuites.
En ce qui concerne le logement communautaire, les chiffres sont tout aussi impressionnants : le nombre d’unités construites passera d’un peu moins de 3 000, de 1967 à 1974, à plus de 14 000 de 1974 à 1986. En 2017, le nombre total de logements construits par des organismes sans but lucratif ou des coopératives d’habitation se chiffrait à plus de 57 000.
Depuis 50 ans, ce sont donc près de 128 000 logements sociaux, communautaires et abordables qui ont été construits par la SHQ.
La SHQ adapte ses interventions
Dans les premières années suivant la création de la SHQ, la majorité des HML construits sont destinés aux familles à faible revenu. Par la suite, les besoins d’autres clientèles, notamment les aînés, qui sont parmi les plus touchés par les problèmes de logement et qui ont souvent de bas revenus, sont pris en compte dans la réalisation de nouveaux HLM.
Au fil du temps, les actions de la SHQ visent à soutenir des clientèles de plus en plus diversifiées, comme les personnes handicapées (avec la création du Programme d’adaptation de domicile, en 1991), les femmes en difficulté, les personnes en situation d’itinérance, celles aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou souffrant de troubles mentaux.

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Tout au long de son histoire, la SHQ s’efforce de rénover et de revitaliser de nombreux quartiers urbains en plus d’adapter ses actions au contexte social et économique en créant de nouveaux programmes répondant aux besoins du moment.
Ainsi, lorsque la crise économique des années 1990 pousse le gouvernement fédéral à mettre un terme à ses contributions financières pour la construction de nouveaux HLM, la SHQ innove en créant, en 1997, le programme AccèsLogis Québec. « La SHQ devait trouver une solution au retrait du fédéral. Elle choisit alors de se tourner vers le milieu communautaire et de mobiliser tous les acteurs pour continuer à créer du logement abordable », explique M. Vachon.
Des retombées impressionnantes
Selon une étude parue en 2011, les retombées économiques de la SHQ sont notables : chaque dollar qu’elle investit engendre des retombées de 2,3 millions de dollars. « La construction de 200 logements supervisés pour itinérants permet une économie annuelle de 8,1 millions de dollars en services publics », illustre M. Vachon.
Sur le plan social, les actions de la SHQ permettent de réduire les effets de la pauvreté, d’atténuer l’itinérance, de maintenir les aînés à domicile, de réduire les difficultés qu’éprouvent les personnes handicapées dans leurs activités quotidiennes, d’assurer un cadre favorable au soutien communautaire et de créer un environnement propice à l’entraide et à l’inclusion.
« Le bilan de la SHQ est très positif. Depuis la fin des années 1960, grâce à sa capacité d’innover, de favoriser la concertation et de répondre aux multiples enjeux qui touchent le domaine de l’habitation, la SHQ a su non seulement traverser l’histoire, mais aussi plus que jamais prouver sa pertinence », conclut M. Vachon.
M. Jean-François Vachon sera conférencier lors du 11e Rendez-vous de l’habitation, qui aura lieu le 6 novembre prochain, à Québec. La Société d’habitation du Québec profite de l’occasion pour remercier la Société canadienne d’hypothèques et de logement, son partenaire principal, dans l’organisation de cette activité annuelle.
Pour en apprendre davantage, consultez notre synthèse historique L’habitation à cœur depuis 50 ans : 1967 à 2017.