Entrevue avec Annick Germain, sociologue, Institut national de recherche scientifique (INRS) – Centre urbanisation Culture et Société
Les populations qui composent les habitations à loyer modique (HLM) ou les coopératives d’habitation sont souvent variées sur les plans social et ethnoculturel. Si cette diversité pose parfois des défis en matière de cohabitation, l’instauration d’un milieu de vie favorisant la sociabilité et un climat de confiance est une des clés pour maintenir l’harmonie, soutient la sociologue Annick Germain.
Réussir à faire cohabiter sans trop de heurts de jeunes familles avec plusieurs enfants et des personnes âgées, de nouveaux arrivants aux coutumes diverses et des Québécois d’origine, ou encore des gens de statuts socioéconomiques très différents n’est pas toujours aisé, explique Annick Germain, sociologue à l’INRS et spécialiste de la mixité sociale en habitation. « On trouve plusieurs clivages dans les ensembles d’habitation qui peuvent compliquer la vie commune. Les problèmes de cohabitation apparaissent souvent lorsque plusieurs clivages, générationnels, ethnoculturels ou sociaux, se superposent », explique Mme Germain.
Le clivage ethnoculturel est l’un des plus marquants, des plus visibles. Et peut-être celui qui génère le plus d’idées reçues. À Montréal tout particulièrement, la population immigrante représente, depuis les années 1990, une part très importante des résidents de nombreux HLM, continue Mme Germain. « Si les immigrants sont aussi présents dans les HLM, ce n’est pas tant parce qu’ils sont plus pauvres, mais parce qu’ils ont souvent de grosses familles et que ce type d’habitation leur offre de grands logements », précise la sociologue.
Le facteur générationnel

Annick Germain, sociologue, Institut national de recherche scientifique (INRS) – Centre urbanisation Culture et Société
Mais attention! La forte présence d’immigrants dans les HLM aux côtés de Québécois d’origine, contrairement à ce que l’on pourrait parfois croire, n’est pas en lui-même un facteur de tensions ou qui perturbe la vie communautaire, insiste Mme Germain : « Il peut sembler normal, quand on constate la très grande proportion de personnes immigrantes dans les HLM, de se demander si ce facteur complique la vie quotidienne de ces immeubles. C’est une question délicate. Or, ce qui peut paraître surprenant, et cela m’a toujours frappée, c’est que toutes les études démontrent qu’il est rare que la forte présence d’immigrants pose en elle-même des difficultés. »
Ce que l’on constate en réalité, c’est que les difficultés de cohabitation sont d’abord générationnelles, enchaîne la sociologue. Elles opposent souvent les locataires plus jeunes, qui ont des enfants, aux plus vieux. Or, lorsqu’à cette différence de générations se superpose un clivage ethnoculturel, les choses peuvent se compliquer. Il n’empêche que le facteur générationnel est beaucoup plus déterminant. – Annick Germain
Pour illustrer son propos, Mme Germain cite en exemple le cas d’un ensemble d’habitations à Montréal où se voisinent une coopérative et un organisme à but non lucratif (OBNL). Dans l’immeuble géré par l’OBNL, on trouve des personnes seules ou de très petits ménages. Parmi les personnes seules, certaines sont vulnérables et ont des problèmes de santé mentale.
« Juste en face de l’OBNL se trouve une énorme coopérative qui offre des logements pour les familles. Ces deux ensembles partagent une cour commune. La cohabitation n’a pas toujours été harmonieuse, car les personnes seules vivant dans l’OBNL n’étaient pas enchantées de voir la cour envahie par les enfants, qui empiétaient sur leur terrain. Alors des personnes ont planté des rosiers avec des épines pour s’assurer que les enfants ne s’approchent pas trop… »
Or, poursuit Mme Germain, plusieurs nouvelles familles immigrantes se sont installées dans la coopérative depuis quelques années. « On a donc pu croire que l’origine ethnique de ces nouvelles familles était la cause des tensions. Mais on s’est plutôt rendu compte, après enquête, que ce qui posait problème, ce n’était pas tant l’origine ethnique des locataires, mais la cohabitation de ménages opposés, ayant des modes de vie complètement différents. D’un côté, des personnes seules et plus âgées, de l’autre, des familles avec enfants. »
Clivage ethnoculturel et préjugés
Ainsi, le mode de vie et l’âge, bien plus que l’origine ethnique, sont des facteurs qui ont une incidence sur les relations entre locataires d’ensembles d’habitation.
« Dans les enquêtes que j’ai faites, la question ethnoculturelle n’est à peu près jamais ressortie comme facteur de tension. À peu près personne ne se plaint de problèmes de cohabitation à cause de gens d’autres origines. Aux yeux des gens, ce n’est pas une variable qui complique la cohabitation, mis à part de petites frictions, des inconforts, liés à des modes de vie un peu différents », explique Mme Germain.
Dans un contexte mondial où l’on observe des tensions interculturelles, surtout avec les personnes d’origine musulmane, il est important de valoriser la cohabitation ethnoculturelle, croit la sociologue.
Nous sommes témoins d’événements qui marquent les esprits très fortement. Dans ce contexte, ce que les gens observent et vivent dans leur vie quotidienne est très important pour la vision qu’ils ont de la société, plus largement. Quand on se rend compte que ça se passe bien avec des gens de religion ou de couleur de peau différentes dans son entourage, cela contribue à faire tomber des préjugés.
Climat de confiance
Afin de favoriser les relations harmonieuses au sein des habitations sociales, les pouvoirs publics ont néanmoins intérêt à organiser les ensembles d’habitation de telle sorte que des gens aux styles de vie ou aux statuts socioéconomiques trop éloignés ne soient pas forcés de cohabiter.
« La mixité en habitation est importante, mais il est aussi judicieux d’anticiper quels types de populations seront voisins pour éviter les trop grands contrastes socioéconomiques et générationnels », nuance Mme Germain.
La clé d’une cohabitation harmonieuse demeure l’instauration d’un climat de confiance authentique dans l’organisation de la vie quotidienne, estime Mme Germain.
« Je ne suis pas très partisane des activités interculturelles ou sociales que l’on organise assez souvent pour encourager les rapprochements. Je ne suis pas sûre que ce soit très efficace. Ce qui est le plus important, c’est ce qui se passe dans le quotidien ordinaire. C’est celui-là qu’il faut bien aménager, plutôt que de multiplier les activités de rapprochement un peu fabriquées. L’important, c’est que les gens se sentent à l’aise de se croiser dans leur milieu de vie, tous les jours. Il faut miser sur une sociabilité naturelle, pas forcée », conclut Annick Germain.