Les troisièmes États généraux de l’itinérance ont eu lieu à Montréal les 15 et 16 juin 2015. Ce fut l’occasion de mesurer le chemin parcouru depuis dix ans et d’identifier des pistes de solution pour agir plus efficacement contre ce problème de société.
On compterait quelque 3 000 personnes en situation d’itinérance à Montréal selon un grand dénombrement effectué en mars dernier par une armée de bénévoles.
Un chiffre qui ne tient cependant pas compte de l’itinérance cachée, qui englobe les personnes hébergées temporairement chez des amis qui passent la nuit dans des motels ou des maisons de chambres, sans avoir de domicile fixe. On estime à environ 300 le nombre de personnes dans cette situation.
« Au-delà des chiffres, une réalité perdure, la lutte contre l’itinérance n’est pas terminée, affirme Pierre Gaudreau, président du Réseau solidarité itinérance du Québec (RSIQ). »
« Beaucoup de chemin a été parcouru depuis les premiers états généraux en 2005. Il y a eu énormément de progrès, on le reconnaît. Il y a dix ans, un de nos objectifs était d’interpeller la société et le gouvernement et faire comprendre que l’itinérance est un phénomène complexe, mais surtout, on voulait passer le message que ce n’est pas normal que des gens vivent dans la rue. »
Depuis une dizaine d’années, les ressources investies en santé et services sociaux ainsi qu’en habitation sociale ont augmenté, se réjouit M. Gaudreau, mais les besoins demeurent importants et il reste encore beaucoup de chemin à faire.
En février 2014, le Québec adoptait la Politique nationale de lutte à l’itinérance, une pièce maîtresse, selon M. Gaudreau.
« On s’est doté d’une politique très forte, qui adopte une vision globale de la problématique et qui reconnaît des droits aux personnes itinérantes. On affirme que l’itinérance est une responsabilité collective. C’est une avancée importante. »
Les troisièmes états généraux se sont déroulés sous le thème Les pouvoirs de faire une différence. Des acteurs des milieux institutionnel et communautaire, du réseau de la santé, des centres jeunesses, du milieu carcéral et des services de police, mais également des représentants des municipalités et même des personnes itinérantes, ont participé aux discussions visant à trouver des solutions pour prévenir l’itinérance et aider ceux et celles qui en font les frais à s’en extirper.
Les chemins de l’itinérance
Qu’est-ce qui entraîne une personne à la rue? Comment en vient-on à perdre jusqu’à son toit?
Selon l’enquête menée en mars dernier, les problèmes financiers, de dépendance aux drogues et à l’alcool et des problématiques liées à la violence seraient parmi les principales causes de l’itinérance. « Trop souvent on croit que ces gens sont entièrement responsables de leur sort. Que ce sont des paresseux. Or quand on creuse un peu, on comprend qu’on ne se retrouve pas dans la rue par choix ou simplement par négligence, mais souvent à la suite d’une série d’épreuves personnelles et de carences multiples », mets en garde M. Gaudreau.
« Prenez les jeunes, par exemple, poursuit M. Gaudreau. On constate qu’ils sont souvent issus d’un milieu familial difficile, pauvre et dysfonctionnel. Un milieu où la culture et l’éducation sont peu valorisées. Ce qui fait qu’ils arrivent à l’âge adulte peu scolarisés et sans grandes compétences. Ils sont mal outillés pour faire face aux défis de la vie. »
« Certains occupent de petits boulots pour un temps et habitent des logements surpeuplés, continue M. Gaudreau. D’autres glissent très rapidement à l’aide sociale et se retrouvent à la rue. Quand on a subi de la violence physique et verbale et qu’on n’a pas terminé son troisième secondaire, on est bien mal parti… »
Une réalité aux multiples visages
Les visages de l’itinérance se sont diversifiés depuis 10 ans. On voit de plus en plus d’Autochtones et d’immigrants. Plus de femmes également, même si l’itinérance reste une situation qui affecte des hommes dans 76 % des cas. « Les femmes vont utiliser différentes stratégies pour éviter de se retrouver à la rue. Malgré tout, en ce moment, à Montréal, les refuges pour femmes débordent. »
On observe aussi un vieillissement de la population itinérante dans la plupart des régions, ajoute M. Gaudreau. « On voit de plus en plus de gens entre 50 et 60 ans qui sont devenus itinérants après avoir perdu leur emploi ou une séparation. Ce sont des personnes qui ont vu leur réseau s’effriter et qui se retrouvent devant rien. »
S’en sortir
Pour aider les personnes itinérantes à se réinsérer socialement, on doit agir sur plusieurs plans, rappelle Pierre Gaudreau : aide au logement, services sociaux, santé, éducation, réinsertion sociale, sources de revenus et réduction de la judiciarisation des personnes itinérantes.
La clé est de combiner les actions pour maximiser les chances de faire une différence dans la vie des personnes itinérantes, tout en évitant d’imposer une marche à suivre, un encadrement trop strict. On doit plutôt privilégier l’accompagnement de ces personnes. « Il y a de multiples causes à l’itinérance et les solutions pour la contrer doivent aussi être multiples et diversifiées. Lorsqu’on agit en amont, quand on concentre nos efforts dans la prévention, cela coûte moins cher socialement que de mettre en place des mesures pour sortir de la rue des gens qui s’y trouvent depuis longtemps. C’est un investissement pour toute la société. »
À consulter
- Ensemble, pour éviter la rue et en sortir : Politique nationale de lutte à l’itinérance
- La Ville de Montréal prévoit un autre dénombrement des itinérants