Par Joëlle Pelletier
Deuxième partie
Préjugé : croyance, opinion préconçue souvent imposée par le milieu, l’époque, l’éducation : parti pris, idée toute faite (Le Petit Robert). Malheureusement, les préjugés sont rarement positifs. Ils sont aussi encore trop présents dans plusieurs sphères, dont le domaine de l’habitation, particulièrement à l’égard du logement social et communautaire. C’est d’ailleurs ce que confirme le sondage d’opinion sur les préjugés que nous vous présentons aujourd’hui. Ce vox pop a été mené auprès des représentants de nos principaux organismes partenaires en logement social et communautaire ainsi qu’auprès de résidents d’immeubles regroupés sous ces organismes.
Les enfants sont étiquetés par le lieu où ils habitent ; ils sont étiquetés par leur quartier souvent aussi.
Extrait de l’entrevue avec le Dr Gilles Julien, dans la section Mieux-vivre
Le point de vue des représentants de nos principaux organismes partenaires en logement social et communautaire
Êtes-vous témoin ou avez-vous été témoin de préjugés à l’égard des résidents qui habitent les immeubles regroupés sous votre organisme?
« Dans notre culture nord-américaine, le quartier et l’immeuble où l’on habite portent une identité socioéconomique. C’est ce que les urbanistes appellent le zonage social. Notre ville, notre quartier ou notre immeuble sont, dans la perception populaire, associés à notre appartenance à une communauté socioéconomique. Sylvain Lelièvre a d’ailleurs transposé dans une chanson cette réalité : « … quand on est de la haute ville, on n’est pas de la basse ville! » Si cette réalité s’observe dans la trame urbaine, il ne faut pas se surprendre que le HLM puisse être une source de stigmatisation pour les personnes qui y résident. Même si le Québec a fait rapidement le choix de ne pas s’engager dans des projets de grands ensembles HLM, il demeure que pour certains HLM des villes centres, notamment, le fait d’être reconnu comme un résident de ces immeubles peut ajouter au fardeau de la pauvreté à cause du regard des autres résidents d’une communauté.
Cet état de fait est peut-être moins marquant pour les HLM réservés aux personnes âgées. La mission sociocommunautaire de ces immeubles apparaît moins contestable sur le plan de l’accessibilité sociale. Dans les milieux familiaux cependant, les préjugés envers les HLM demeurent et nous avons vu, encore récemment, des communautés résister à la construction de logements sociaux dans leur quartier. Il y a aussi une perception architecturale qui associe les HLM réservés aux familles à une mauvaise qualité d’immeuble et, conséquemment, à une clientèle problématique. Je me souviens d’une visite récente d’un quartier de Québec avec un groupe de citoyens où je leur demandais de me pointer des HLM. Instinctivement, leurs regards portaient vers des immeubles délabrés et peu entretenus. Ils manifestaient leur surprise et leur étonnement quand je leur indiquais que ces immeubles appartenaient à des propriétaires privés et que je leur montrais le HLM bien intégré à la trame urbaine du quartier devant lequel ils étaient passés sans le remarquer. »
– Denis Robitaille, directeur général du Regroupement des offices d’habitation du Québec
« Les préjugés qui sont largement diffusés envers la formule coopérative en habitation sont de deux ordres, mais reviennent à la question suivante : pour qui sont les coopératives d’habitation?
D’abord, nous trouvons toute une série d’idées préconçues qui s’énoncent ainsi : ceux qui vivent dans les coopératives d’habitation sont des personnes démunies, à faible ou sans revenu, qui travaillent au noir, qui sont bénéficiaires de généreuses subventions et qui ne contribuent pas à la société. On considère souvent que les immeubles sont en mauvais état, qu’ils sont mal entretenus et que dans la vie quotidienne, les relations entre les locataires se résument au chaos et à des conflits.
Par opposition, d’autres prétendent que les coopératives d’habitation logent des « p’tits futés du système », scolarisés, qui ont un emploi bien rémunéré, des profiteurs qui abusent du système.
Toutes ces opinions sont en grande partie dues à l’ignorance concernant la formule coopérative en habitation. Notons, entre autres choses, que la mixité sociale et économique est au cœur de cette formule. »
– Hélène Jacques, chef de secteur – recherche, formation, services-conseils à la Confédération québécoise des coopératives d’habitation
« … Quant à nos observations sur les préjugés, elles confirment le plus souvent le phénomène du « pas dans ma cour » lors de la réalisation de certains projets. Ces situations s’observent à l’occasion sans égard au type de résidents : familles, personnes âgées ou handicapées. Nous avons conçu un guide en 2006 pour aider les promoteurs à faire face à ces résistances et à augmenter l’acceptabilité du projet dans la communauté d’accueil. »
– Marcellin Hudon, coordonnateur de l’Association des groupes de ressources techniques du Québec
Les préjugés ont-ils des répercussions sur les locataires?
« Même si tous les acteurs associés au HLM (incluant les locataires eux-mêmes) s’investissent pour améliorer ces milieux sur le plan de la vie communautaire, je crois que dans l’ensemble de la population, certains préjugés demeurent à l’égard des résidents de HLM et que ceux-ci peuvent avoir des répercussions sur ces personnes, notamment dans les milieux familiaux. Les nombreuses initiatives mises sur pied à l’intention de ces clientèles (travailleurs de corridors, aide aux devoirs, activités de loisirs spécialisées, visites de policiers éducateurs, cuisine collective, etc.) traduisent en quelque sorte les répercussions de la pauvreté et de la vie en HLM. »
– Denis Robitaille, directeur général du Regroupement des offices d’habitation du Québec
« Oui, à court, à moyen et à long termes. Nous en comprenons toute l’ampleur lorsque les locataires de coopératives d’habitation s’expriment sur leur expérience de vie en coopérative. Ils sont souvent vexés et exaspérés de ne pas être reconnus avec justesse.
Certains seront alors réticents à dire où ils vivent, à exprimer leur fierté de vivre en coopérative d’habitation et à faire la promotion de cette formule.
Ces préjugés ont une incidence sur l’estime de soi de plusieurs membres qui, plutôt que d’être reconnus comme des personnes qui participent activement à l’épanouissement et au développement de leur milieu de vie et de leur communauté grâce à la formule coopérative en habitation, se voient plutôt décrits comme des personnes démunies, désorganisées et profiteuses du système. »
– Hélène Jacques,chef de secteur – recherche, formation, services-conseils à la Confédération québécoise des coopératives d’habitation
Y a-t-il des pistes de solution pour la lutte contre les préjugés?
« Je dirais qu’il faudra consentir encore beaucoup d’efforts pour démontrer les retombées et les effets du logement social dans les communautés. Des études comme celle du Regroupement des offices d’habitation du Québec à propos de l’incidence des HLM sur l’économie régionale ou celle de AECOM sur les retombées des activités de la SHQ peuvent servir de levier à une telle démarche. Il faudra aussi se donner des moyens de changer la perception que les gens ont du logement social. En France, l’Union sociale pour l’habitat réalise, sur une base triennale, une importante enquête auprès de la population en général et des résidents de HLM sur la perception ainsi que sur les retombées et effets du logement social. Cette démarche permet de bâtir un argumentaire documenté pour les communautés et les acteurs du logement social. Il faudra aussi préciser et publiciser davantage la mission du logement social au Québec afin de permettre à la population de mieux en comprendre les finalités et les retombées.
Pour le logement destiné aux personnes âgées, on est à même de constater un changement de paradigme. Il reste à orienter une démarche similaire pour le logement réservé aux familles. Il faut aussi démontrer davantage que le logement social est viable sur le plan économique et que son développement ne s’inscrit pas dans une dynamique de concurrence avec le secteur privé, mais qu’il vise à aider des clientèles délaissées ou non desservies par ce secteur. Enfin, on aurait intérêt, surtout en milieu familial, à créer un créneau d’attribution où le HLM pourrait servir de levier afin que les résidents redeviennent actifs dans leur collectivité. On aurait intérêt également à davantage faire valoir les bons coups du logement social au Québec. Autant sur le plan des initiatives communautaires que sur celui du développement immobilier, je crois que le logement social peut mettre en démonstration de nombreuses réalisations qui contribueraient à changer la perception de la population à l’égard de celui-ci. »
– Denis Robitaille, directeur général du Regroupement des offices d’habitation du Québec
« Les pistes de solution sont nombreuses; il s’agit de prendre le temps de les mettre en œuvre.
En voici quelques-unes :
- Continuer d’assurer la mixité sociale et économique dans les coopératives d’habitation
- Mieux faire connaître la formule coopérative aux membres pour qu’ils puissent, eux-mêmes, en faire la promotion
- Informer les membres de l’importance et de la diversité du secteur coopératif au Québec et partout dans le monde. Leur dire qu’ils appartiennent à un grand mouvement où les réussites entrepreneuriales coopératives ont démontré, au fil du temps, la valeur de la formule coopérative.
- Susciter la réflexion chez les membres afin de les aider à développer un sentiment d’appartenance à leur milieu coopératif
- Promouvoir davantage la formule coopérative en habitation dans la population en insistant sur le mode de fonctionnement organisationnel et démocratique d’une coopérative ainsi que sur les valeurs et les principes qui sous-tendent la vie coopérative. »
– Hélène Jacques, chef de secteur – recherche, formation, services-conseils à la Confédération québécoise des coopératives d’habitation