Par Julie Berthold
Parmi toutes les conditions qui maintiennent les gens dans l’exclusion, l’accès difficile au logement demeure la pire épreuve, selon le directeur général de la Maison de Lauberivière, Éric Boulay, en entrevue avec Espace Habitat. Ayant de faibles revenus et un profil pour le moins « atypique », cette clientèle est souvent victime de discrimination lorsque vient le temps de trouver un logement.
Éric Boulay se rappelle bien de la crise du logement qui a touché plusieurs régions, dont la Ville de Québec, au début des années 2000. « L’accès difficile au logement est le facteur qui amène le plus de gens à Lauberivière. C’est mathématique : quand les taux d’inoccupation baissent, le prix des logements augmente et ça exerce une pression sur l’ensemble de notre réseau. »
Cette pression pousse également les gens à faire de mauvais choix. « Ils vont se mettre deux ou trois ensemble, dans un taudis, ce qui est la pire des choses pour s’en sortir. Si les gens ont des problèmes de dépendance, ça en prend juste un des trois qui rechute pour que les autres retombent aussi. »
Le logement supervisé : une solution gagnante
Pour faciliter l’accès au logement et assurer la stabilisation résidentielle des personnes vulnérables, il faut créer des conditions gagnantes. « Il faut se servir de l’habitation pour créer un environnement sécuritaire, un milieu de vie de qualité où on va pouvoir rencontrer les gens et combler leurs besoins de base, ce qui est nécessaire pour nous permettre d’aller plus loin avec eux. »
Afin de mieux accompagner les gens, un projet de logements supervisés a été mis sur pied par Lauberivière en 2003, notamment grâce à l’appui de la Société d’habitation du Québec. Depuis, les Résidences du presbytère ont donné lieu à de nombreuses histoires de réussite, comme celle de Maxime qui, après de nombreuses années difficiles, commence enfin à voir la lumière au bout du tunnel.
À la base de ce succès, il y a le suivi qui est fait par un agent de liaison. Celui-ci est sur place 20 heures par semaine afin d’accompagner les locataires dans leur démarche de réinsertion sociale. Le Comité de Lauberivière veille aussi au bon déroulement des choses par l’entremise de rencontres mensuelles avec les locataires. Cette gestion participative donne lieu à une vie démocratique saine et stimulante. Elle incite les locataires à s’engager et elle renforce leur sentiment d’avoir du pouvoir sur leur vie.
D’autres solutions pour favoriser la stabilité résidentielle
Lauberivière a également mis sur pied un service de fiducie. Celui-ci vise à soutenir les personnes ayant accès à un logement privé en leur offrant un encadrement budgétaire et un suivi psychosocial. « On perçoit les revenus des gens, on fait un budget avec eux et à leur place, parce qu’au début ils ne sont pas capables de le faire eux-mêmes, on va payer leur loyer et leurs dettes. Ainsi, on enlève tout ce qui est vulnérabilisant pour eux afin de les aider à travailler sur les vraies choses », c’est-à-dire les facteurs personnels ou sociaux qui les ont menés là.
Éric Boulay est particulièrement fier de ce service qui, selon lui, évite à de nombreuses personnes de se retrouver à la rue. « Avec la fiducie, les gens arrivent à payer leur loyer seuls au bout de 6 mois », et ce, même s’ils n’ont pas réglé leurs problèmes ou mis fin à leurs dépendances. Selon lui, il faut amener les gens à reprendre progressivement le contrôle de leur vie. « Les personnes qui sont dans le trouble sont habituées à leur situation, ça les sécurise. Quand on crée artificiellement les conditions de réussite, les gens finissent par s’habituer à être bien. »
Des retombées positives sur toute la société
En plus d’avoir des effets positifs sur les individus, les interventions pour aider les personnes plus vulnérables à se loger ont des retombées concrètes sur toute la société. En effet, la stabilisation résidentielle encourage et facilite la diminution de la consommation de drogue et d’alcool, en plus d’avoir un effet positif sur la réduction des méfaits et la judiciarisation. C’est notamment ce qui ressort d’une étude réalisée en 2006 pour le compte de la Maison de Lauberivière[1], qui a par ailleurs démontré qu’une personne ayant quitté l’itinérance pour se stabiliser en logement grâce à du soutien communautaire coûte deux fois moins cher à l’État.
L’itinérance coûte cher à l’État.
– Éric Boulay
La stabilité résidentielle entraîne en outre une diminution importante, voire l’absence d’utilisation de services publics dispendieux, tels les urgences des hôpitaux, les incarcérations et les traitements judiciaires. De plus, offrir aux itinérants un logement supervisé, accompagné d’un soutien communautaire, les aide à renouer avec un entourage social, ce qui facilite leur réinsertion.
Humaniser les façons de faire
Pour Éric Boulay, il est clair que le facteur le plus important pour réussir une réinsertion sociale est la création d’un lien de confiance et l’accompagnement des gens dans leurs parcours. « Il faut que tout ça s’inscrive dans un processus. Il faut humaniser les façons de faire. »
À ce titre, si les services de première ligne comme l’hébergement, la soupe populaire et le dégrisement sont essentiels (« Si on les interrompait, ça irait mal dans la ville! »), ils servent également à créer un lien de confiance permettant aux intervenants d’aller plus loin avec les gens.
« La première demande d’aide est cruciale pour les cinq années suivantes. » C’est pourquoi les intervenants ont été formés pour faire en sorte que les gens se sentent accueillis dans le respect des besoins qu’ils sauront exprimer. « Au début, les gens sont en situation de survie. On comble leurs besoins de base. Mais petit à petit, on pourra avancer avec eux et leur proposer d’autres services. »
« On a un peu un job de marchands de chaussure. Quand tu magasines, tu ne veux pas qu’un vendeur soit toujours après toi. Mais quand c’est le temps de trouver ta pointure, là, il faut qu’il apparaisse comme par magie! »
- 14 logements supervisés pour clientèle itinérante
- Projet réalisé en 2003 grâce au volet 3 du programme AccèsLogis Québec de la Société d’habitation du Québec (SHQ)
- Tous les locataires profitent du programme Supplément au loyer de la SHQ, ce qui leur permet de ne débourser que 25 % de leur revenu pour se loger.
1 Karina Côté, anthropologue. Les coûts financiers de l’itinérance à Québec, étude réalisée pour le compte de La Maison de Lauberivière, 2006.