Par Julie Berthold
Depuis plus de 20 ans, le Dr Gilles Julien se consacre au développement d’une pratique médicale basée sur la mobilisation de toutes les personnes qui gravitent autour des enfants, afin de mieux répondre aux besoins de ceux-ci tout en respectant leurs intérêts et leurs droits fondamentaux.
Les centres de pédiatrie sociale, qu’il a mis sur pied pour venir en aide aux clientèles défavorisées des quartiers Hochelaga-Maisonneuve et Notre-Dame-de-Grâce, ont permis d’aider des milliers d’enfants à briser le cercle de la pauvreté.
Nous avons rencontré un homme passionné qui ne ménage aucun effort pour améliorer la qualité de vie de ceux qu’il appelle affectueusement « ses enfants ».
Une méthode simple
L’approche du Dr Julien n’a rien de bien compliqué : elle place l’enfant au cœur d’une démarche qui a pour objectif de réunir sa famille, les acteurs de son réseau social ainsi que tous les autres intervenants qui désirent lui venir en aide. De cette mobilisation naît une synergie favorable à la recherche de solutions, et ce, dans le meilleur intérêt de l’enfant.
La responsabilité de la mise en œuvre du plan d’action qui émerge de cette collaboration est également partagée. Elle ne repose plus uniquement sur les épaules des parents qui, bien souvent, ont perdu confiance en leurs capacités parentales.
Les préjugés : un obstacle majeur à l’épanouissement des enfants
« J’ai plein de parents qui arrivent et qui me disent qu’ils sont dysfonctionnels », affirme le Dr Julien. Les préjugés à l’égard des personnes à faible revenu ainsi que les jugements posés par les différentes personnes qui sont appelées à intervenir auprès des enfants peuvent avoir des conséquences extrêmement dommageables pour les familles. « Ils en viennent à penser qu’ils ne sont pas des bons parents et ça, c’est grave parce que ça déteint aussi sur les enfants. Ça fait partie des stress toxiques qui nuisent au développement d’une population. »
Avant tout, selon le Dr Julien, il faut écouter les parents, ne pas les juger, et leur redonner confiance en leurs capacités parentales. « Souvent, les parents vont nous dire : “C’est la première fois qu’on m’écoute, qu’on considère ce que je dis… Après tout, je suis le parent et je ne suis pas si niaiseux que ça!” On passe une grosse partie de notre temps, en pédiatrie sociale, à ramener ce pouvoir-là qui a été perdu à cause de préjugés et d’exclusion. Et ils réussissent quand on ramène cette fierté-là, et vite à part ça! »
Les préjugés font la vie dure aux enfants aussi. « Les enfants sont étiquetés par le lieu où ils habitent; ils sont étiquetés par leur quartier souvent aussi. » Cette triste réalité nuit, sans aucun doute, à l’épanouissement des enfants.
S’attacher aux enfants
Les fondements de la pédiatrie sociale reposent d’abord et avant tout sur l’apprivoisement et l’attachement aux enfants. Cet engagement personnel est, d’après le Dr Julien, la clef de la réussite, puisqu’il sert à établir un climat de confiance entre les enfants, les parents et les différentes personnes engagées dans la démarche. « On est content quand nos enfants réussissent, on est là quand ils ont de la peine, dans une forme d’accompagnement empathique… On n’est pas assis derrière un bureau pour leur dire quoi faire. »
Le Dr Julien déplore d’ailleurs le fait que les professionnels aient développé une tendance à ne pas s’engager personnellement et émotivement auprès des enfants. « On va dire, et pas juste au médecin, mais au psychologue, aux enseignants, à tout le monde : “Il faut que vous gardiez une espèce de distance pour mieux agir”, ce qui est tout à fait faux! Pour agir dans un domaine plus humain, comme on le fait, il faut au contraire s’attacher, se mouiller et s’approcher des enfants. »
Mais comment arrive-t-on à gérer ses émotions à l’égard des enfants lorsqu’on s’implique autant? C’est certain, avoue d’emblée le Dr Julien, que ce n’est pas toujours facile : « On voit à peu près de tout ici et toutes sortes de catastrophes aussi… On évacue personnellement, chacun à notre façon […]. Mais ce qui me permet de continuer, c’est de voir l’enfant changer rapidement, et de voir la famille se reprendre en main. » Ces histoires de réussite donnent des ailes au docteur Julien et à toute son équipe.
L’habitation : un déterminant majeur de la santé
Selon le Dr Julien, un bon médecin doit essayer de comprendre et d’agir sur les déterminants de la santé des enfants. Et il lui apparaît très clair que l’habitation et le milieu de vie des enfants ont une influence majeure sur leur développement physique et psychosocial. « L’impact de la qualité de l’habitation est majeur. C’est un phénomène parmi d’autres, mais si on a un toit adéquat, sécuritaire – ce qui est un droit aussi –, si on a accès à une alimentation saine et à un milieu de vie sécurisant, c’est clair qu’on a beaucoup plus de chances de se développer complètement et d’être moins malade. »
Des exemples, le Dr Julien en aurait des tonnes. « S’il y a des coquerelles, des trous dans les murs, si les portes ne ferment pas bien, si ça crie dans les escaliers et s’il se passe des choses dans la cour, l’enfant devient extrêmement anxieux et sa famille aussi. On appelle ça des stress toxiques qui jouent sur le moral et qui souvent vont jouer sur le développement du cerveau de l’enfant. »